Vandana Shiva, la force du cercle vertueux
Du 25/06/2018 au 31/07/2018
Symbole mondial de l’écologie, ennemie n° 1 des firmes agrochimiques, passionaria des petits paysans contre les OGM et les pesticides, défenseuse de l’agriculture bio et écoféministe, l’Indienne Vandana Shiva n’est pas une légende. Entretien avec une militante de la paix et de la liberté lors de son passage à Paris pour la parution de son dernier ouvrage cosigné avec Nicolas Hulot, Le Cercle vertueux.
Pour vous, crise écologique et crise sociale sont indissociables. Pouvez-vous préciser ?
Chaque coup porté à la terre se retourne tôt ou tard contre nous. Voyez les pesticides chimiques qui génèrent des maladies. Ou bien ce paradigme des entreprises qui considèrent les énergies fossiles comme inépuisables et pensent que moins il y a d’humains plus un système est performant. Aujourd’hui, elles emploient de moins en moins d’hommes mais usent de plus en plus de ressources. Par la mondialisation, l’humanité utilise les mêmes schémas de pensée, avec la monoculture notamment, ce qui impacte la biodiversité, les ressources en eau, ou génère des gaz à effet de serre. Quand il n’y a plus d’eau, quand les sols s’appauvrissent, les hommes deviennent des réfugiés climatiques. Ainsi la crise syrienne est précédée d’importantes sécheresses ayant entraîné le déplacement de milliers de personnes. De même au Nigeria avec l’assèchement du lac Tchad. La violence contre la terre génère la violence contre les hommes, et souvent les conflits humains ont un lien avec l’écologie.
Par où commencer pour créer un cercle vertueux ?
Tout est interconnecté ! Comme dans un collier, il n’y a pas de première perle. Quand la chaîne se rompt, toutes les perles se répandent. On peut commencer par un jardin bio dans un réseau. Peu importe où l’on commence, il faut aussi des politiques qui encouragent les transitions.
En France, la bio progresse. Et en Inde, qu’en est-il ?
En travaillant sur la révolution verte, il y a 35 ans, je me suis rendu compte des dégâts des pesticides, j’ai initié un mouvement [lire la bio express, NDLR]. Depuis, 1 million d’agriculteurs ont été formés à la bio. Cinq des seize États avec lesquels notre association Navdanya travaille, comme le Bouthan, le Kerala, etc., sont sur la voie du 100 % bio.
Est-ce une agriculture bio vivrière ou d’export ?
Dans mon pays, les épices ont toujours voyagé. Aujourd’hui, les agriculteurs bio qui en produisent cultivent aussi du riz par exemple dans une recherche évidente d’équilibre. Ils consomment et vendent localement. Quand le paysan nourrit le sol [base de l’agriculture bio, NDLR], sa famille va bien. Tout agriculteur devrait non seulement planter bio mais aussi manger bio !
C’est un exemple de cercle vertueux ?
Oui. Car toute la communauté mange bio. Une part de la production peut alors faire l’objet d’un commerce plus large, voire international, comme celui des épices. Mais notre modèle de mondialisation qui repose sur le libre-échange ne le permet pas. La France produit des pommes de terre, l’Inde aussi, les prix s’effondrent ! 90 % de ce qu’on produit devrait être consommé localement. Ainsi le reste aurait sa valeur ajoutée qui n’existe pas ailleurs.
Donc au final, small is beautifull ?
Small is necessary ! Plus l’exploitation est grande, plus il y a de mauvaises herbes entraînant un recours aux herbicides. Une ferme bio repose sur un système écologique conditionné par la biodiversité. Cet autre cercle vertueux qui permet de gérer mauvaises herbes et plantations n’est pour moi possible que jusqu’à une certaine échelle. Au lieu d’une grosse exploitation en monoculture, des petites fermes bio peuvent fonctionner comme une grande unité ! Ne jamais oublier que c’est le sol qui produit et qui redonne. Et quand tu reçois un cadeau, tu fais quoi ? Tu remercies, comme on le fait dans les cultures indigènes lors des récoltes. La société industrielle, plus violente, demande « plus » !
La technologie peut-elle être la solution à nos problèmes ?
Technologie est un mot utilisé à tort et à travers. C’est surtout le cheval de Troie de la domination et de la colonisation, hier et aujourd’hui. Les firmes justifient la toxicité de leurs outils, par exemple les pesticides, par la technologie et le progrès. Il nous faut reconquérir notre capacité à imaginer et à nous demander ce dont nous avons réellement besoin, pour mesurer l’utilité de l’outil et l’impact de son usage.
La gestion locale et communautaire, ce qu’on appelle les communs, serait pour vous une voie à suivre…
De l’air propre, une nourriture saine, une rivière pure sont des biens communs. Une bouteille d’eau est un bien commun capturé dans du plastique et privatisé. Beaucoup de problématiques écologiques découlent de la privatisation de biens communs. Je pense à Coca-Cola dans le nord de l’Inde [en 2014 dans l’Uttar Pradesh une de ses usines a fermé pour utilisation abusive de l’eau, avant de rouvrir NDLR]. Je distingue les biens communs créés par l’homme comme Internet, l’éducation, et ceux créés par la nature, telle la semence. C’est pourquoi nous montons des banques communautaires de graines libres, réponse à la crise écologique et sociale. L’accès des fermiers à leurs semences permet de sauvegarder la biodiversité et conditionne la productivité. En Inde, certains cultivent de nouveau du coton à partir de leurs semences. La particularité des communs est que chacun a la responsabilité d’en prendre soin. Pas de monétisation mais des règles de gestion locales et communautaires dans lesquelles les membres, hommes, femmes, riches, pauvres, sont à égalité. L’un peut avoir 20 vaches à faire paître, si la règle de la pâture commune est de n’en faire paître que deux, le riche a les mêmes obligations que le pauvre. Le commun qui repose sur une participation collective, c’est la base de la vraie démocratie, « la démocratie de la terre ».
Des exemples de ces gestions collectives protectrices ?
La ZAD Notre-Dame-des-Landes [elle s’y rend le lendemain de l’entretien, NDLR]. Un collectif dont les membres ont posé des règles pour protéger l’air, la terre plutôt qu’un tarmac de passage.
Militante, conseillère, écrivaine, conférencière…, vos engagements vous laissent-ils encore du temps libre et si oui, qu’en faites-vous ?
Depuis que j’ai quitté la recherche universitaire, ces sujets sont ma passion, ma joie, ma liberté. Esclave de personne, je n’ai pas besoin de temps pour m’aérer ! Je suis une femme libre qui vit pour la liberté !
« Tout agriculteur devrait non seulement planter bio mais aussi manger bio ! »
« Les biens communs et la participation collective sont la base de la démocratie, “la démocratie de la terre”. »
BIO
Physicienne, docteur en philosophie des sciences, chercheuse en politiques environnementales, écrivaine, Vandana Shiva est née en 1952 dans l’Uttarakhand au nord de l’Inde. Ses engagements écologistes et humanistes au plan national puis international débutent dans les années 80, contre la construction du barrage sur la Narmada, contre une usine Coca-Cola dans le Kerala ou contre les OGM qu’elle rendra responsables du suicide de paysans indiens surendettés. Elle milite pour l’agriculture traditionnelle et bio, et les droits des peuples autochtones. Sur les pas de Gandhi, l’activiste capable d’entraîner les foules dans ses marches a créé l’association Navdanya (1991) pour la conservation de la biodiversité et la protection des droits des fermiers, dirigé la Fondation de la recherche pour la science, les technologies et les ressources naturelles, et reçu plusieurs récompenses internationales dont le Nobel alternatif (1993) pour avoir notamment placé les femmes et l'écologie au cœur du discours sur le développement moderne.
Retrouvez cet article dans CULTURE(S)BIO n°100, magazine offert par votre magasin Biocoop, dans la limite des stocks disponibles, ou à télécharger sur Biocoop.fr